La digitalisation à la rescousse

La démocratisation des capteurs de glucose en continu, des pompes à insuline et des systèmes en boucle fermée améliore grandement la qualité de vie des patients.

Par Bertrand Beauté

Les patients atteints de diabète de type 1 doivent maintenir leur taux de sucre dans le sang (glycémie) dans une fourchette comprise entre 70 et 180 milligrammes de glucose par décilitre de sang. Mais encore faut-il connaître précisément sa glycémie. Pour y parvenir, les diabétiques ont dû pendant longtemps se piquer le bout du doigt, afin de déposer une goutte de sang sur une bandelette test, plusieurs fois par jour. L’apparition des systèmes CGM (continuous glucose monitoring), qui mesurent le glucose « en temps réel », est venue changer la donne. Concrètement, les CGM sont composés d’un capteur qui se fixe généralement sur le bras, le haut de la fesse ou l’abdomen, et relève la glycémie plusieurs centaines de fois par jour. Les dernières versions de ces appareils sonnent en cas d’hypo- ou d’hyperglycémie et transmettent toutes les données au smartphone du patient via Bluetooth. 

« L’apparition des systèmes CGM a été un progrès formidable pour nous autres diabétiques », souligne le compositeur français Bertrand Burgalat, atteint du diabète de type 1 depuis ses 11 ans, en 1975, et auteur du livre Diabétiquement vôtre paru en 2015. Un avis partagé par le corps médical : « Se piquer au bout du doigt était douloureux pour certains patients, voire stigmatisant, explique le docteur Karim Gariani, responsable de l’unité de diabétologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Et en plus d’améliorer la qualité de vie, les CGM permettent aux patients de mieux se rendre compte de leur glycémie et donc de rester plus longtemps dans la zone cible. » Des études ont ainsi montré que l’emploi du CGM Freestyle d’Abbott diminuait de 67% le risque d’hospitalisations des patients diabétiques.

 

« Le marché des systèmes de mesure du glucose en continu
pèse actuellement 8 milliards de dollars par an »


David Kägi, gérant de portefeuille de la stratégie RobecoSAM Sustainable Healthy Living Equities

 

« Le marché des CGM pèse actuellement 8 milliards de dollars par an, rapporte David Kägi, gérant de portefeuille de la stratégie RobecoSAM Sustainable Healthy Living Equities. C’est donc encore un marché naissant, mais il affiche une forte croissance, de l’ordre de 22% par an, ce qui le rend très attractif pour les investisseurs. » Les principaux systèmes CGM sur le marché actuel sont le FreeStyle Libre 3 de Abbott, qui compte plus de 4 millions d’utilisateurs, et le G6 de Dexcom.

« De plus en plus de diabétiques de type 1 choisissent de combiner les systèmes CGM avec des pompes, afin de ne plus avoir à se faire des injections avec un stylo à insuline », poursuit David Kägi. Concrètement, en plus de transmettre les données recueillies au smartphone du patient, le CGM les envoie à un système d’administration automatique d’insuline (AID pour automated insulin delivery). Un algorithme intégré à l’AID analyse alors les schémas glycémiques et décide automatiquement si de l’insuline doit être administrée et, le cas échéant, en quelle quantité. Une application pour smartphone affiche des résumés graphiques des mesures de glucose et d’insuline. 

« Le marché des pompes à insuline automatique s’élève actuellement à 3,5 milliards de dollars, avec une croissance de 10% par an, légèrement moindre que celle des CGM », précise David Kägi de Robeco. Deux produits se partagent le leadership sur le marché des AID : la pompe à insuline t :slim X2 de Tandem Diabetes et l’Omnipod 5 d’Insulet.

Lorsque les lecteurs de glucose et les pompes à insuline sont ainsi reliés, on parle de système en boucle fermée. « Grâce aux systèmes en boucle fermée, le temps passé avec une glycémie dans la zone cible peut être porté à 70-80% sur une période de vingt-quatre heures, soit 10% de plus qu’un diabétique qui utilise les technologies traditionnelles. De plus, le nombre d’hypoglycémies chute de 50% », précise le docteur Karim Gariani des HUG. Et le praticien y voit un autre avantage : la diminution de la charge mentale. « Les diabétiques de type 1 dorment souvent mal, parce qu’ils font et redoutent des hypoglycémies nocturnes. Ils doivent donc se réveiller plusieurs fois par nuit pour relever leur glycémie, souligne Karim Gariani. Avec les systèmes en boucle fermée, cela n’est plus nécessaire. Leur qualité de sommeil s’améliore avec des nuits moins morcelées. »

 

40,000

Le nombre de personnes atteintes du diabète de type 1 en Suisse

 

Au-delà du patient, d’autres personnes, comme les membres de la famille, les proches ou le médecin traitant, peuvent consulter les données à l’aide d’une application, permettant ainsi une meilleure prise en charge. Si les diabétiques de type 1 sont les principaux utilisateurs de ces appareils, les patients de type 2 au stade le plus sévère de leur maladie peuvent également les employer – eux aussi nécessitant des injections régulières d’insuline. Parmi les patients de type 2, 25% sont ainsi insulino-dépendants et peuvent donc recourir aux systèmes en boucle fermée. « Les systèmes en boucle fermée sont formidables pour les patients », souligne Pierre Corby de l’UBP.

Pour autant, ces appareils ne représentent pas la panacée : « Seulement 10 à 20% des patients utilisent cette technologie, poursuit Karim Gariani. Les autres n’ont pas envie, soit parce que porter en permanence ces capteurs change le rapport qu’ils ont à leur corps, soit parce qu’ils n’aiment pas faire certaines tâches comme remplacer les capteurs ou installer le cathéter qui injecte de l’insuline. Par ailleurs, ces technologies peuvent aussi générer de l’anxiété chez certaines personnes qui deviennent obsédées par leurs données. »

Les systèmes en boucle fermée sont également moins autonomes que ce que prétendent leurs fabricants. « La technologie est de plus en plus précise, mais les patients doivent toujours renseigner des données dans l’appareil et s’injecter des doses supplémentaires d’insuline (bolus), précise Karim Gariani. Je pense que dans cinq à dix ans, l’automatisation sera beaucoup plus complète. »